Figures est un jeu de construction à partir de fragments d’images, de textures, de matières et d’objets glanés. Mathias Schweizer, graphiste, conçoit des compositions  - à partir d’une foisonnante matrice d’éléments passés par le prisme de son scanner, ou façonnés au gré de ses recherches - qui sont autant de tableaux de jeux pour les visiteurs. S’il est à l’origine de la première figure, elle est ensuite modifiable à loisir par le visiteur et laissée en l’état pour le prochain.

Thierry Chancogne, théoricien du graphisme et enseignant, invité à réagir à ces compositions, propose un flux de réflexions, qui côtoie le jeu tel un flux d’informations en continu. Il écrit une série d’impromptus conçue telle une étude diachronique sur l’apparition des formes et des images, dans le champ de l’architecture, de la peinture, du cinéma. Convoquant les récits de Gudea, roi Sumer, comme les rites de fondation étrusques ou l’esthétique contemporaine, il nous invite à re-penser la fonction indicielle du cadre (désigner l’image) – du tableau, de l’écran,… - vers une réalité empirique, anthropologique dans les pratiques de production plastique et architecturale.


This is the show and the show is many things disait Bart de Baere en 1994 à l’occasion de l’exposition éponyme qu’il organisait au S.M.A.K à Gand (Belgique). Royal Garden continue à étendre l’expérience et la réflexion d’une définition possible d’un projet artistique actuel, hors les murs et dans le plus grand espace public partagé qu’est internet. Royal Garden mène une réflexion qui envisage la possibilité de renoncer à l’espace muséal en construisant une relation renouvelée de l’œuvre à son système de présentation.


Douces
, Bitumes, Cabanes, Vue du Sol, Marches sont les titres des premiers jeux proposés au visiteur. La sculpture devient accessible au public qui peut agir à sa guise. Aussi, si d’aucun considère encore la sculpture comme un objet lourd, intransportable et intouchable, avec Mathias Schweizer elle devient une expérience partagée. Il défait avec malice et délice une vision tenace de la sculpture qui serait celle d’un objet massif et inerte contre lequel on bute dans les espaces d’expositions ou au milieu des squares. Il ramène la sculpture du côté de l’immatériel, de la légèreté mais néanmoins du tangible, créant des pauses, de fuites, des récréations. Ses occurrences sont autant d’objets scéniques où le visiteur devient performer.

Les attributs traditionnels de la sculpture, l’absence d’utilité et la définition d’un volume plus ou moins stabilisé ne sont pas opérants ici. Figures apparaît à la fois utilitaire, puisqu’il peut être considéré comme un jeu, et esthétique, puisqu’il contient un vocabulaire plastique assorti de textes. Les textes étant pensés comme des échos et des correspondances électives.

Le premier terme qu’énonce Thierry Chancogne est justement poser. Poser une première pierre, poser un socle pour établir un projet commun. Poser est également un mot qu’utilise beaucoup Mathias, lorsqu’il énonce « je vais poser les éléments » pour les intégrer… Il dit aussi « reposer » et « composer » et bien sûr souvent « se poser » ! Mathias Schweizer et Thierry Chancogne ont établi un dialogue basé sur une langue commune, qui porte ici les énoncés suivant « Poser », « Templum », « Cadre limite »... Si le théoricien a choisi de faire apparaître ses textes comme un flux d’informations inlassablement relayées, c’est sans doute pour singer les bandeaux de flux d’actualités situés dans la partie inférieure de l’écran TV, comme des Breaking news. Mais c’est surtout un choix formel pour ne pas faire apparaître la totalité du texte en une fois, comme ce serait le cas au sein d’un livre ou d’un magazine. La forme est alors essentielle puisqu’ici elle adopte le flux et le mouvement de Royal Garden.

L’artiste joue ses gammes à travers Figures. On retrouve à travers elles le vocabulaire plastique qui a nourri la création de livres, d’affiches, de sculptures, d’installations, de journaux d’expositions qu’il a créées au cours de ces dix dernières années.

C’est avec générosité que les « gifts » de Mathias Schweizer rejoignent l’esprit de Royal Kinder Garden, ainsi que celui du programme de transmission de l’expérience de l’art développé par le Bureau des publics du centre d’art. Certaines Figures comme on le dit en gymnastique, virevoltent dans l’espace de l’écran, avec légèreté, pour construire autant d’images. C’est de la même manière que Mathias Schweizer envisage la création d’affiches, qui se déclinent avec lui toujours en plusieurs versions. La forme est en mouvement comme sa pensée. C’est d’ailleurs, de mon point de vue, le caractère plastique de sa réflexion qui fait de lui un créateur rare sur la scène du design graphique français et un interlocuteur précieux du projet artistique que je mène. Son approche est tout à la fois numérique, organique et géométrique.


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Le Crédac a confié la création de son identité graphique à Mathias Schweizer en 2007 et ses déclinaisons à l’occasion de son installation à la Manufacture des Œillets en 2011. Avant cela, nous avions créé ensemble le journal gratuit
Mecca en 2006. Je souhaitais un outil de partage, de relecture et de mémoire de la programmation et des actions de médiation du centre d’art. Ainsi, chaque projet avec lui est pensé comme une forme-outil liée au geste. Le premier  Mecca était très inspiré par les replis labyrinthiques de l’architecture de Jean Renaudie dans laquelle le Crédac était alors situé, et la structure du journal impliquait une certaine gestuelle, une manipulation physique.

Depuis 10 ans, notre dialogue est continu et il porte sans cesse sur la création de supports d’information bien sûr, mais aussi et surtout d’outils de lecture sensible du programme artistique que je mène. En 2008, nous avons créé - également avec Etienne Bernard - Royal Garden, développé sur internet et pensé comme un prolongement sur le mode virtuel du projet artistique du Crédac. Dans un premier temps envisagé comme une « revue virtuelle hirsute », un lieu de production pluridisciplinaire, un cadavre exquis critique, théorique et artistique, il est rapidement devenu un lieu de production original.

Depuis 2012, Royal Garden s’associe chaque année à un artiste, un curateur ou bien encore un graphiste.

Pour la quatrième édition intitulée Rivières, l’artiste suisse Didier Rittener était accueilli en « résidence ». Celle-ci s’inscrivait dans le prolongement de sa participation à l’exposition collective Le Travail de rivière organisée au Crédac en 2009 et pour laquelle Mathias Schweizer et moi avions également édité un livre. Suite à l’exposition, Didier Rittener avait commencé l’inventaire d’œuvres plastiques, musicales ou littéraires évoquant la rivière, comme une tâche infinie de retour aux origines.

En 2013, c’est le collectif It’s Our Playground (Camille Le Houezec & Jocelyn Villemont) qui développait le cinquième volet, Vegetal Passion, une exposition en ligne qui proposait de considérer l'espace d'exposition comme étant le milieu naturel des œuvres d'art. Le duo d’artistes et commissaires envisageaient leur édition de Royal Garden comme une jungle ambiguë dans laquelle se côtoient sans hiérarchie propositions d'artistes, photographies d'archive et images glanées sur internet. Mélangeant habilement plantes et œuvres, œuvres à plantes et « plantes d’exposition », cette proposition curatoriale tendait à jeter un regard neuf sur les pratiques horticoles en milieu institutionnel.

Ce projet s'appuyait sur des photographies d'expositions (issues notamment des fonds Marc Vaux et Cahiers d'Art de la bibliothèque Kandinsky) des années 1940-1960, époque de pré-standardisation muséographique, durant laquelle les plantes décoratives semblaient naturellement ponctuer les salles d'exposition.

En 2014, pour Royal Garden 6, c’est à nouveau dans l’esprit d’une extension du programme, notamment du cycle d’expositions The Registry of Promise organisé par quatre centres d’art en Europe avec Chris Sharp, curateur américain basé à Mexico, que j’ai souhaité inviter tous les acteurs de ce projet à répondre à une question : « Choisissez ce qui représente pour vous la notion de promesse » - un clip, une image, un extrait de texte. Les réponses se sont traduites par des créations originales comme des réappropriations – multimédia - basées sur l’idée de la promesse.

En 2015, c’est au tour de l’artiste Boris Achour d’être invité par Lucie Baumann pour Royal Kinder Garden, titre comme un clin d’œil à Friedrich Fröbel, pédagogue allemand à qui on doit le concept des jardins d’enfants. Cette septième édition de Royal Garden traverse la programmation artistique du Crédac au gré des activités conçues pour les jeunes publics. Enfants et adultes peuvent s’approprier cette matière vivante et rejouer en ligne ces expériences
de l’œil, de la main et de la parole.

Claire Le Restif